Declic Violence

AIDE AU REPÉRAGE ET À LA PRISE EN CHARGE DES VIOLENCES CONJUGALES EN MÉDECINE GÉNÉRALE

La mécanique des violences conjugales : cycle de la violence, emprise...

EN BREF

L'éclairage sur ces stratégies permet d'envisager la victime autrement : non plus comme une victime de violences conjugales mais comme l'instrument d'un fonctionnement complexe.

Les différents mécanismes d'adaptation au processus d'emprise permettent de comprendre puis d'accepter l'ambivalence qui habite ces femmes et qui déstabilise les soignants. Par exemple, les décisions prises en période de crise sont réversibles : les démarches entreprises peuvent être abandonnées lorsque l'espoir renaît.

Souvent, le souhait premier de la victime est que les violences s'arrêtent, et pas nécessairement de quitter le conjoint violent.

    Différents modèles coexistent pour appréhender le phénomène des violences conjugales. Généralement, on parle d'escalade des violences: l'installation des violences est subtile et suivie d'une aggravation progressive en fréquence et en intensité.

    Le cycle des violences est un modèle habituellement utilisé pour comprendre l'évolution des violences dans le temps. Ce cycle comprenant 4 étapes, se répète et s'accélère dans le temps, comme une spirale infernale. Il tend à prendre une forme binaire : tension et agression se succédant sans justification et réconciliation.

    cycles de violences
    1. La TENSION
      L'agresseur n'exprime pas directement la violence ; il s'agit de menaces et d'épisodes de colère qui augmentent progressivement.
      La victime est inquiète ; elle essaie d'améliorer le climat en satisfaisant le conjoint.
    2. L'AGRESSION
      L'agresseur laisse la violence exploser sous toutes ses formes.
      La victime est triste et humiliée ; elle se sent impuissante.
    3. La JUSTIFICATION
      L' agresseur justifie son comportement et minimise les faits ; il exprime un sentiment de remords et peut faire du chantage.
      La victime essaie de comprendre la situation ; elle doute de ses propres perceptions et se sent responsable de la situation. Elle éprouve un sentiment de culpabilité intense.
    4. La RECONCILIATION ou La « LUNE DE MIEL »
      L' agresseur demande pardon et parle de thérapie ; il ressent la peur de l'abandon.
      La victime apporte son aide ; elle constate les efforts et fait elle même des "efforts". Un sentiment d'espoir renaît.

    La roue du pouvoir et du contrôle (d'aprés Duluth) : ce modèle met en évidence l'importance de la domination au cœur du phénomène de violences conjugales. Tous les moyens violents convergent et sont utilisés pour obtenir le pouvoir et le contrôle sur le partenaire.

    La roue du pouvoir et du contrôle
    Adaptation de la version élaborée par le Domestic Abuse Intervention Project, Duluth, Minnesota, www.duluth-model.org

    Définition et approche psychanalytique de l'emprise :

    • Il s'agit de l'ascendant intellectuel ou moral de quelqu'un; de l'influence de quelque chose sur une personne d'après le dictionnaire Larousse.
    • Du point de vue psychanalytique, c'est une relation de soumission de l'autre qui est considéré comme un objet, associée à l'impossibilité d'accepter l'autre dans sa différence et à la satisfaction de ses propres désirs au détriment du désir de l'autre, qui est nié.
    • Ce phénomène s'articule en 3 dimensions : l'appropriation, la domination, l'empreinte sur l'autre (marque physique et psychique)

    Mise en place et stratégies des auteurs :

    * La séduction pour commencer :

    La rencontre peut être vécue comme fusionnelle, avec un homme qui correspond exactement aux attentes de sa future compagne. Cet "accrochage" est parfois facilité par la complémentarité psychique de deux individus et par des facteurs de vulnérabilité chez la femme, d'ordre social et/ou psychologique. Cet amour idéal(isé) constitue la préparation psychologique à la soumission.

    * Puis viennent la manipulation, la domination et la violence :

    La manipulation amène la confusion, l'isolement, la culpabilisation. Elle repose sur différents moyens qui peuvent être : comportementaux = surveiller l'autre, l'isoler (travail, famille, amis) , créer une dépendance financière..., émotionnels = manipulations verbales et chantage, cognitifs = contrôle du langage et de la communication en utilisant des messages contradictoires. Ce processus d'instrumentalisation engendre une modification de conscience : perte de confiance, déstabilisation, confusion, effondrement de la capacité critique, doute sur le propre ressenti, sentiment de vide. Il existe un épuisement psychique et physique.

    * Des mécanismes d'adaptation se mettent en place chez la victime :

    • la dissociation psychique se définit par une altération de l'identité, de la mémoire, de la conscience et de la perception de l'environnement (en lien avec un vécu traumatique).
    • l'impuissance apprise est la diminution des capacités à trouver une solution. Elle fait disparaître le désir de s'en sortir.
    • l'augmentation du seuil de tolérance tend à la normalisation des violences.
    • l'inversion de la culpabilité (au détriment de la victime).
    • la protection de son agresseur.
    • un état de stress post traumatique.
    L'emprise

    Des femmes au cœur d'une situation paradoxale : "mais pourquoi ces femmes ne partent pas ?"

    Elles sont prises en étau entre le désir d'exister en tant que personne à part entière et/ou de protéger leur(s) enfant(s) et :

    • le souhait de maintenir une cellule familiale et une relation affective.
    • la peur des représailles.
    • la perte d'autonomie, la perte de confiance et la peur de l'inconnu.
    • la stigmatisation : la peur du jugement des autres.
    • l'isolement social : le manque de soutien des amis et de la famille.
    • la dépendance financière.
    • l'amour et l'espoir que la situation va s'améliorer (cycle de la violence).

    Ces obstacles expliquent leur difficulté à quitter le conjoint violent et à prendre des décisions pour changer leur situation.

    A savoir : la séparation est une période à risque de passage à l'acte violent ou d’aggravation des violences.

    La rupture évolutive : de la séparation physique à la séparation psychique

    • Un départ définitif ? La victime va faire plusieurs allers et retours avant qu'un départ définitif intervienne. Un départ en urgence est rarement un départ définitif. Il faut garder en mémoire que le souhait de la victime est que les violences s'arrêtent, ce qui, pour elle, n'est pas forcément associé à l'idée de quitter définitivement son partenaire.
    • Des allers et retours au profit d'expériences constructives. Ces "faux départs" vont permettent à la victime d'expérimenter ses propres ressources (capacité à vivre seule), les possibilités d'hébergement, d'aide sociale et psychologique, sa sécurité, et la fiabilité des promesses faites par son conjoint lors des périodes de réconciliation. Une reprise progressive de l'autonomie se met en place au fil des expériences.
    • Et après le départ ? Alors que la victime a définitivement quitté le partenaire violent, l'emprise est bien souvent encore présente. De nombreuses victimes présentent un état de stress post traumatique.

    Plusieurs études concluent que les pathologies addictives augmentent le risque de perpétration de violences conjugales. Par exemple, selon l’OMS, l’utilisation nocive d’alcool est un facteur de risque d’être auteur de violences conjugales. Une méta-analyse montre que le risque d’agression sur un partenaire intime est multiplié par 3 en cas de trouble de l’usage de l’alcool ou d’un autre produit (majoritairement cocaïne et cannabis).

    Il existe également un recours aux substances psychoactives plus important chez les personnes ayant subi des violences au cours de leur vie. Le lien de causalité n'est pas encore réellement établi mais il pourrait être expliqué par la mémoire traumatique. (pour en savoir plus sur la mémoire traumatique : https://www.memoiretraumatique...)

    Actuellement une étude multicentrique (ViA-MG) est en cours dans le Puy-de-Dôme et à Paris pour évaluer la prévalence de la victimisation et de la perpétration des violences conjugales chez les patients consultant ou étant hospitalisés en addictologie. Elle permettra également de décrire cette population (caractéristiques socio-démographiques, caractéristiques des recours à la médecine générale, attentes vis-à-vis de la médecine générale).